Voyage au pays des steppes

Balade dans le Terelj

Collation chez des Bouriates

Dernier jour de randonnée dans le Terelj. En milieu de matinée, nous faisons halte dans un autre camp bouriate. Cette fois, nous sommes reçus dans une yourte (le terme mongol est « gher ». Yourte est en fait un mot turc, qui signifiait au départ territoire, puis campement, pour enfin désigner la tente des nomades).

La yourte

Une yourte fait environ six mètres de diamètre (mais quelques siècles auparavant, les yourtes royales étaient beaucoup plus vastes). Le « mur », cylindrique, fait un mètre cinquante de haut. Il est constitué d’un treillis en bois de saule ; pour le démontage et le transport de la yourte, le treillis est démontable en cinq parties, qui sont elles-mêmes pliables. La porte est la seule partie rigide du mur ; elle est toujours orientée vers le sud. Elle est souvent peinte, éventuellement ornées de motifs géométriques entrelacés, sans début ni fin (les öldziis, symboles de bonheur, de bienvenue). Quatre-vingt une perches (9 x 9) soutiennent le toit. Elles se rejoignent en haut sur une ouverture circulaire en bois (le tonoo). Cette ouverture permet de faire pénétrer l’air et la lumière ; elle laisse également passer le tuyau du poêle (et jadis, la fumée provenant du foyer). Elle est soutenue par deux poteaux hauts de deux mètres cinquante.

Le treillis est recouvert de pièces de feutre rectangulaires, maintenues par deux grosses cordes attachées au chambranle de la porte. Le toit est fait de pièces trapézoïdales posées sur les perches. Eventuellement, des pierres permettent de lester l’ensemble. L’été, on fait sécher le fromage en prévision de l’hiver en le plaçant au bord du toit de la yourte ; on y fait aussi égoutter le fromage dans des sacs en tissus. Enfin, une pièce de feutre triangulaire permet, par un jeu de cordes, d’ouvrir ou de fermer l’ouverture du toit. En été, le bas des feutres muraux est relevé d’une dizaine de centimètres pour faire circuler l’air. En hiver, une deuxième couche de feutre est ajoutée pour mieux isoler la yourte. Le feutre est fait à partir de laine de mouton. Il est parfaitement imperméable, et combiné à la chaleur du foyer il protège très bien du froid hivernal.

On le voit, la yourte est parfaitement adaptée à la fois au climat du pays (fraîche l’été, chaude l’hiver, résistance aux vents violents) et à la vie de nomade : elle est facilement montable, démontable et transportable.

Une légende raconte l’origine de la yourte. Un vieil homme eut un jour l’idée de bâtir un abri pour l’homme basé sur le modèle de la Terre : les murs s’inspiraient des montagnes qui entourent la steppe, la porte qui stoppe le blizzard et s’ouvre sur le beau temps était tel le ravin face au sud ; le trou de cheminée était le soleil, et les perches ses rayons. Les toiles de feutre blanc posés sur les murs étaient le brouillard qui se lève derrière les montagnes, celles du toit les nuages. Enfin, les cordes maintenant l’ensemble s’inspiraient des tornades de l’autre côté des montagnes. Ainsi construisit-il la yourte ronde comme le monde.

La yourte est donc un modèle miniature de l’univers. Il en découle des règles qu’il faut respecter pour ne pas offenser les esprits, et les divisions spatiales à l’intérieur (qui l’on met à gauche, à droite, au nord). Placé au milieu de l’habitation, le foyer devient le centre du monde, d’où sa sacralisation (voir plus haut les interdits concernant le foyer). Les piliers centraux relient la terre au ciel. Aussi faut-il éviter de les saisir, et les contourner pour passer d’un côté à l’autre de la yourte ou pour tendre un objet (encore que nous verrons certains de nos hôtes ignorer cette règle). De même que les poteaux, le trou à fumée est un lien entre la terre et le ciel, comme l’atteste cet extrait de L’histoire secrète des Mongols :

« Chaque nuit, un être à la peau jaune clair entrait par la clarté filtrant par l’ouverture à fumée ou le linteau de la yourte. Il frottait mon ventre et sa lumière pénétrait mon sein. Quand il sortait, c’est en rampant, tel un chien jaune, sur un rayon de lune ou de soleil. » (Histoire secrète des Mongols)

Il faut enjamber le seuil, mais ne pas marcher dessus car c’est là que réside l’esprit de la yourte. Au 13ème siècle, le non respect de cet interdit dans le cas de la yourte du Khan était puni de mort par le Yasa, la loi imposée par Gengis Khan aux tribus réunies ou conquises. Les étrangers qui n’étaient pas au courant de cet interdit étaient toutefois épargnés, avec interdiction n’entrer à nouveau dans la yourte du Khan.

« Nous étions déjà dehors, quand mon compagnon [...] se retourna face au Chan [Khan] et s’inclina vers lui ; se hâtant pour nous rejoindre, il heurta le seuil de la maison [Rubrouck parle de la yourte du Khan]. Et tandis que nous avancions à la hâte vers le demeure de Baltou, fils du Chan, les gardiens de seuil mirent la main sur notre compagnon et l’empêchèrent de nous suivre. [...] Alors il lui pardonna. Mais jamais, dans la suite, il ne lui fut permis d’entrer dans une maison du Chan. » (Guillaume de Rubrouck)

Les Bouriates qui nous reçoivent sont visiblement plus pauvres que ceux de la veille : il y a moins de meubles, l’autel est moins riche. Leur petite fille est blonde, ce qui est extrêmement rare dans ce pays. De la viande séchée est disposée sur une perche tendue horizontalement entre deux perches du toit. Comme souvent dans une yourte, de menus objets sont coincés entre les perches et le feutre du toit : outils, crayons, cahiers, herbes... Du lait est mis à chauffer ; une couche d’urum se forme à la surface du récipient.

On nous sert du fromage séché, de l’urum, et du tsa, le thé au lait mongol, légèrement salé. Le thé vient de Russie ou de Chine, les Mongols n’en cultivant pas eux-mêmes. On boit beaucoup de tsa en Mongolie, mais pas autant que d’aïrak.

Ballade dans le Terelj

Nous reprenons notre route. Au bord d’une piste perdue au milieu de nulle part, un panneau de sens interdit gît au pied d’un panneau Stop dont l’utilité n’est pas vraiment flagrante... Pour rejoindre le bus situé de l’autre côté d’une rivière, nous empruntons un pont à moitié écroulé : s’ils sont censés le protéger, alors les khatas situés à chaque extrémité n’ont pas été très efficaces. Nouvel après-midi de marche, puis le bus nous conduit jusqu’à notre nouveau campement.

En chemin, nous observons de nombreuses maisons bouriates – c’est surtout au nord du pays qu’on les trouve. Le toit est recouvert de bouse, qui sert d’isolant. Dans la région du Terelj, nous aurons surtout vu en matière de bétail des vaches, chèvres et moutons ; peu de yacks ni de chevaux.

Les terres sont plus arides qu’elles ne devraient pour cette époque de l’année, les pâturages pas aussi verdoyants, et nombre de rivières et ruisseaux sont partiellement ou complètement asséchés. Le dernier hiver a été très difficile car la période durant laquelle le bétail ne peut plus se nourrir a été particulièrement longue, et les éleveurs ont perdu beaucoup de bêtes. L’été s’avère tout aussi difficile, car très sec.

« C’était une neige lourde qui ne s’est arrêtée que le lendemain vers midi. La tempête a suivi. La neige tombée s’est soulevée de nouveau, ciel et terre se sont confondus. Le dshut était là [grande tempête qui prive la plupart du temps les bêtes de nourriture]. Arrivé à la maison, j’ai arraché la partie tendre et feuillue du düüleesch pour la hacher. Pendant ce temps, maman a fait dégeler le crottin sur le feu. On a mélangé le tout dans une écuelle, avec du sel dessus. [...] « Il vaut mieux que cette bande de voraces reste en vie même si nous buvons de l’eau ! » [...] Le soir, papa est rentré à la maison avec le grand troupeau, il nous a appris que quatre agneaux étaient morts déjà dans le pâturage et que d’autres n’en étaient pas loin. [...] Le troupeau maigrissait à vue d’œil malgré nos efforts. » (Ciel bleu)

Après le dîner, un vieil homme et son petit fils passent à moto nous apporter du tarak qui agrémentera le petit déjeuner et le déjeuner du lendemain.

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