Voyage au pays des steppes

Randonnée et tarak

Randonnée et tarak

Départ pour une matinée de randonnée. La Mongolie n’est pas un pays d’éleveurs pour rien : la steppe est parsemée de crottin et de bouse séchées, ainsi que de laine de mouton. On trouve aussi un grand nombre d’os, restes de bétail mort de froid pendant l’hiver (un grand nombre de bêtes meurt durant les rigoureux hivers, où la température descend facilement à –40°C), ou tué par les éleveurs. Le ciel mongol est d’un bleu très pur, et même chargé de lourds nuages noirs, il subsiste toujours quelque part une parcelle d’un bleu éclatant. On comprend comment le Tengri a pu devenir une divinité.

Bientôt, nous faisons halte à un « aïl » (un campement) de Bouriates. Les Bouriates forment une des ethnies minoritaires du pays. Les Khalkha représentent 80% de la population mongole. Les autres ethnies parlent toutes le mongol, mais elles peuvent avoir en plus un dialecte propre. Les Bouriates ont pour particularité d’être un peu plus sédentaires que les autres éleveurs, et de construire des habitations en bois là où la plupart des Mongols vivent exclusivement dans des yourtes. De fait, cet aïl se compose de quelques cabanes et d’une yourte. Un peu plus loin, un enclos, et à deux mètres de hauteur, l’odja : la corde tendue entre deux poteaux qui sert à attacher les chevaux.

Etre reçu chez des Mongols

Les aïls sont toujours gardés par des chiens. Il est de coutume, lorsque l’on souhaite y aller, d’interpeller le propriétaire en criant la formule « Garde tes chiens ! ». On peut alors s’approcher, et les éleveurs invitent rapidement les visiteurs à entrer dans la yourte et leur offrent à boire et à manger. Tout au long du voyage, l’hospitalité des Mongols ne sera pas un seul instant mise en défaut. En comparaison, imaginez qu’un groupe de touristes japonais frappent à votre porte et que vous les invitiez spontanément à prendre l’apéro...

Il y a des règles de politesse à respecter quand on est reçu. Les hôtes servent leurs invités soit en tendant le bol ou le verre au creux des deux mains, soit de la main droite, le coude soutenu par la main gauche. En principe, ils commencent par l’invité d’honneur, ou bien par la personne la plus âgée. On accepte en effectuant le même geste, et en remerciant d’un simple hochement de tête (les remerciements verbaux sont rares, et ont donc beaucoup plus de poids). Il est extrêmement incorrect de refuser, mais on peut boire ce que l’on veut, ou même se contenter de tremper ses lèvres. On rend le récipient de la même manière qu’il a été donné. Alors l’hôte le remplit à nouveau (même si l’on n’a presque rien consommé) et le tend à la personne suivante. Il peut aussi servir un bol par personne, pour aller plus vite. Boire ou manger bruyamment n’est pas impoli, bien au contraire, pas plus que de lécher son assiette ou son bol. Un invité ne quittera jamais une habitation mongole sans avoir consommé quelque chose.

Il est poli, en prenant congé, d’offrir quelque menu cadeau (bougies, bonbons, jouets...), soit au père de famille, soit à la mère s’il est destiné aux enfants. Le cadeau doit être tendu dans le creux des deux mains ; il est accepté de la même manière, sans parole de remerciement, pas plus qu’on ne remercie en prenant congé : l’hospitalité est considérée comme une chose parfaitement normale.

Notre hôte nous sert un bol de tarak : un yaourt grumeleux, au goût légèrement aigre qui rappelle l’aïrak, très bon et rafraîchissant. Presque liquide, on le boit directement au bol. Il fait également circuler un plat contenant du pain, des biscuits et de l’urum. Grumeleux et de couleur jaune pâle, l’urum est la crème de lait. On le prépare en faisant chauffer du lait, longtemps et à feu doux, dans un grand récipient : une crème se forme alors à la surface, et on la retire quand elle atteint deux centimètres.

L’intérieur de l’habitation bouriate est semblable à celui des yourtes. L’entrée est orientée vers le sud. Il y a une unique pièce. De chaque côté, et au nord, se trouvent les lits, quelques meubles peints dont les décorations représentent des animaux ou des frises, et dans lesquels les Mongols rangent leurs biens. Le poêle se trouve au centre, le « coin cuisine » à gauche. On nous fait asseoir directement sur les lits et sur des tabourets. Les invités sont placés en priorité à droite et au nord qui est la place d’honneur, là où s’installe en général le maître de maison. Accrochés aux murs, une photo d’un leader politique, un calendrier avec un portrait de Gengis Khan...

« Lorsque les maisons [Rubrouck parle ici des yourtes] sont installées, la porte orientée au sud, ils placent le lit du maître au nord. Les femmes se placent toujours du côté oriental, c’est à dire à la gauche du maître de maison lorsqu’il est assis sur son lit et qu’il a la tête tournée vers le sud. Les hommes sont placés à l’occident, c’est à dire à sa droite. » (Guillaume de Rubrouck)

Au nord se trouve l’autel bouddhiste. Sur le meuble est disposé un mélange hétéroclite d’images bouddhistes, d’une photo du Dalaï Lama, de sept coupes contenant les offrandes (des graines, de l’eau, un bonbon), d’une petite sculpture de Bouddha, et même un Bouddha sous verre des plus kitsch. C’est là aussi que les Mongols disposent sur des panneaux leurs photos de famille, certaines très anciennes, en noir et blanc, d’autres plus récentes, souvent prises par des touristes de passage. Les Mongols adorent se faire photographier et poser fièrement devant l’objectif ; c’est d’ailleurs une bonne idée de venir muni d’un Polaroïd.

Nous reprenons notre marche, et rejoignons le bus au lieu de rendez-vous convenu. Un orage menace ; nous déjeunons au son du « Tengri do », le chant du ciel. Les éclairs et le tonnerre, au loin, remplacent avantageusement le feu d’artifice, puisque nous sommes le 14 juillet !

L’après-midi, poursuite de la randonnée dans cette vallée bordée de collines boisées. Un cimetière est juché au sommet d’une colline, et nous croisons quelques tombes isolées. Sur la stèle figurent le nom du défunt, ses dates de naissance et de mort, une épitaphe ; au-dessus, on retrouve les mêmes symboles du feu, du soleil et de la lune que dans le soyembo. Jadis, les sépultures, en particulier celles de personnages importants, étaient placées en hauteur, sur des montagnes (évoquées par les chamans comme des « yourtes de rocher »).

« Je suis vieux maintenant,

Je suis un homme âgé :

Qui gouvernera tout ce peuple

Quand, dans ma vieillesse,

J’irai sur les hauteurs,

Quand, dans mon grand âge,

J’irai dans la montagne ? »

(Histoire secrète des Mongols)

Nos randonnées sont l’occasion pour Darkhan et Cathy de parfaire leur français et leur mongol respectifs (la grammaire du mongol est très simple ; la difficulté réside essentiellement dans la prononciation), et pour nous de les interroger sur le pays.

Un 14 juillet dans la steppe

En fin d’après-midi, nous retrouvons le bus et montons le camp à proximité d’un aïl et d’une rivière.

Un aïl est constitué en général de deux à cinq yourtes, plus un enclos. Il correspond à une famille, comprenant grand-parents, parents et enfants. Ils se déplacent ensemble, indépendamment des autres aïls proches. La région que parcourra dans une année une famille de nomade peut atteindre cent à deux cent kilomètres. La distance sera plus importante dans le désert du Gobi ; elle est plus courte, quelques dizaines de kilomètres, dans les régions moins arides, ainsi que pour les Bouriates, de tradition plus sédentaire ainsi que nous l’avons vu. A l’exception des villes, il n’y a pas en Mongolie, pays de tradition nomade, de propriété privée : la terre appartient à tous. Le premier arrivé sur un lieu de pâturage a le droit d’y demeurer. Pour cette raison, le communiste qui rejette la notion de propriété privée put être accepté sans trop de difficultés par les Mongols.

Jusqu’au dîner, farniente, baignades dans la rivière (pas très chaude !), lecture... Après le dîner, nos accompagnateurs mongols nous font la surprise d’une bouteille de vodka pour notre fête nationale. C’est Tounga qui fait la distribution, à la manière mongole. Pour commencer, il jette au sol le contenu du premier verre, pour les esprits, puis sert chacun d’entre nous à tour de rôle, avec le même verre. Le verre est tendu de la main droite, la main gauche soutenant le coude, et est accepté de la même manière. Il y a trois tournées, qu’il est impoli de refuser (on peut toutefois ne pas vider entièrement son verre, ou juste tremper les lèvres). Il est possible, avant de boire, de faire une libation aux esprits : on trempe l’annulaire gauche dans le verre, puis l’on jette une goutte à gauche, devant soit, derrière, puis sur le front.

« Lorsqu’ils se rassemblent pour boire, ils commencent par asperger la figurine qui est au-dessus de la tête du maître, puis toutes les autres figurines dans l’ordre. Ensuite, un serviteur sort de la maison avec une coupe et de la boisson pour en répandre trois fois vers le sud, en pliant chaque fois le genou, pour honorer le feu ; puis vers l’orient pour honorer l’air, puis vers l’occident pour honorer l’eau ; ils en jettent aussi vers le nord pour les morts. » (Guillaume de Rubrouck)

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